Le chocolat et la Marquise de Sévigné

La marquise de Sévigné. © DR

Au siècle du roi soleil, le chocolat, rapporté du Mexique par Cortes et ses conquistadors espagnols, débarque dans les cours d’Europe. Réservé à la noblesse, qui le consomme en boisson chaude, il ne compte pas que des partisans, et souvent marquise varie…

Marie-Thérèse d’Autriche, Infante d’Espagne, épouse Louis XIV. Elle initie Versailles, où elle s’ennuie, au chocolat, épicé et parfumé à la cannelle. Le breuvage devient à la mode.

Petite fille de Ste Jeanne de Chantal, la marquise de Sévigné fit beaucoup pour ce breuvage, et les lettres qu’elle adresse à sa fille en révèlent les vertus, tantôt divines, tantôt diaboliques, dont on pare cette manne encore peu connue, qui alimente les rumeurs: tour à tour vraie gourmandise, médicament ou poison pur et simple.  
D’autant plus que, contrairement à la reine, Louis XIV, adepte du bouillon, n’est pas très attiré par le chocolat qu’il tient pour un «trompe la faim qui ne remplit pas l’estomac». 
Le chocolat avait donc ses détracteurs et ses adeptes, ce qui explique les déclarations flottantes de la marquise de Sévigné, quant à ce «breuvage des dieux». 
Ainsi, dans sa lettre du 11 février 1671, inquiète des insomnies de sa fille enceinte, elle affirme «le chocolat vous remettra; mais vous n’avez point de chocolatière (…), comment ferez-vous?». En avril de la même année, sa lettre montre qu’elle a changé d’avis: «le chocolat n’est plus avec moi comme il était (…) Tous ceux qui m’en disaient du bien m’en disent du mal (…). Il vous flatte pour un temps, et puis vous allume tout d’un coup une fièvre continue, qui vous conduit à la mort».Quelque temps plus tard, elle met carrément en garde sa fille, toujours enceinte: «Je vous conjure de ne plus prendre de chocolat, je suis fâchée avec lui (…). En l’état où vous êtes, il vous serait mortel». En octobre, elle est dubitative: «Mais le chocolat, qu’en dirons-nous? (…) Il me semble qu’il m’a brûlée, et, depuis, j’en ai entendu dire bien du mal; mais vous dépeignez si bien les merveilles qu’il fait en vous, que je ne sais plus qu’en penser». 
Elle ajoute, craintive: «La marquise de Coëtlogon a tant pris de chocolat, étant grosse, qu’elle accoucha d’un petit garçon noir comme le diable, qui mourut…»
Puis les caprices de la mode aidant – et la Marquise, grande courtisane, la suit de près – la gourmandise l’emporte à nouveau, comme elle le démontre dans sa lettre du 28 octobre 1671: «J’ai voulu me raccommoder avec le chocolat; j’en pris avant-hier pour digérer mon dîner, afin de bien souper, et j’en pris hier pour me nourrir (…), il m’a fait tous les effets que je voulais; voilà de quoi je le trouve plaisant, c’est qu’il agit selon l’intention».
On relèvera que c’est à la Marquise que l’on doit ce mot: «Racine (l’auteur) passera comme le café (en vogue depuis peu)», preuve, s’il en est, que la perspicacité n’était pas toujours sa qualité première…

JC Genoud-Prachex