Le design alimentaire est devenu indissociable de la restauration. C’est dans cette tendance que s’inscrit la deuxième édition du Trophée Chef & Designer qui se déroulera dans le cadre de Sirha Genève. Emmanuel Chevalier, designer alimentaire français et passionné de gastronomie, fera partie du jury. Interview.
Quand le design alimentaire a-t-il fait son apparition? Il y a une dizaine d’années. Les débuts étaient timides, mais aujourd’hui le design alimentaire a pris toute son importance. Dernièrement, j’étais convié au siège des Compagnons du Devoir par le comité d’orientation afin de parler des différentes formations en design alimentaire. Aujourd’hui, le designer alimentaire intervient à tous les niveaux de la mise en place d’un concept. Il apporte un autre regard. Le travail avec un chef, par exemple, relève de la complémentarité.
Certains pays sont-ils plus en avance dans ce domaine? La France est très active de même que l’Angleterre même si l’approche est différente. En France, on reste très attaché au produit alors qu’à Londres, par exemple, on est davantage dans la mode. Les expériences sur le court sont possibles, ce qui est, peut-être, moins le cas en France.
Qu’en est-il de la Suisse? Il y a des choses intéressantes. Je pense notamment au concept de la cuillère suisse qui traduit bien le pays. Elle reprend un élément important de l’identité suisse, le chocolat, et en fait un objet ludique et transportable tout en jouant sur la notion de temps puisqu’on regarde fondre lentement le chocolat dans le lait chaud.
Le design alimentaire s’inspire-t-il obligatoirement de la tradition? De la tradition revisitée, pourrait-on dire. La manière de s’alimenter a beaucoup changé au cours des dernières années et ce n’est pas fini. Nous allons vivre une véritable révolution alimentaire dans le futur. Il suffit de penser qu’en 2015 il faudra nourrir une population mondiale de 11 milliards de personnes alors qu’aujourd’hui avec sept milliards, nous n’y arrivons pas !
Aujourd’hui, le repas traditionnel n’est plus la norme. On est dans le street food, le take away… Mais dans un même temps, les consommateurs sont demandeurs de produits authentiques et sains. Opposer ces deux tendances, comme on le fait souvent, du reste, est faux et réducteur. La démarche juste est d’inscrire le street food, par exemple, dans nos cultures. La modernité de notre époque est bénéfique, mais elle doit s’accompagner d’authenticité dans les plats, et c’est là que le design intervient. La forme peut rendre un plat classique incroyablement actuel ! Le design alimentaire peut aussi intervenir dans le cadre de la restauration collective. Dans les cantines scolaires, notamment, où un design bien pensé peut inciter les enfants à manger des légumes, ce qu’ils rechignent généralement à faire.
C’est dans cette approche tradition-modernité que s’inscrit le Trophée Chef & Designer? Exactement. Cette année, les concurrents travailleront sur des plats iconiques avec la réalisation d’une poule-au-pot et d’une assiette entièrement végétale. Les huit équipes, composées d’un chef et d’un designer, devront réaliser ces plats en 4h30, face au public et sous les yeux d’un jury présidé par Yannick Alléno, le chef du restaurant 1947, à Courchevel. Les concurrents feront la démonstration de comment une recette institutionnelle peut devenir contemporaine.
Quel est le profil des concurrents?
Je pense qu’il s’agit de professionnels engagés, pointus, et curieux. Les chefs se montrent très intéressés par le design. Ils réalisent que leur art ne s’arrête pas à leurs compétences. Le chocolatier Pierre Hermé, avec Philippe Starck, a été avant-gardiste dans ce domaine.
Odile habel
Photo: Emmanuel Chevalier, designer alimentaire. © DR