Pas de Campana certes (AOP oblige), mais de bufala tout de même, la mozzarella que produisent les frères Stähli, Daniel et Georges, éleveurs de bufflons et bufflonnes dans le Val-de-Travers, jouit d’une réputation flatteuse, même parmi les producteurs de Campanie (IT).
Domestiqué en Asie, le bufflon a été importé en Europe, où il a pris le nom de buffle méditerranéen. Moins monumental que celui d’Afrique (2 m au garrot, 1200 kg), le bufflon (1.7 m au garrot) pèse jusqu’à 900 kg, la bufflonne, 600 kg (1.4 m au garrot).
On dit le bufflon rapporté d’Afghanistan, au 19e siècle, par un général italien au service des Anglais, mais on trouve des traces de fabrication de la mozzarella de bufflonne dès le 7e siècle, et sa consécration intervient au 18e siècle. De nos jours, la mozzarella est le fromage le plus consommé en Italie, présent sur les tables de six Italiens sur dix, qui en consomment près de 2,6 kg par mois et par habitant, soit 2 millions de tonnes par an.
Une mozzarella di bufala suisse
Le visiteur du Val-de-Travers découvre avec surprise un troupeau de bovidés noirs paissant au bord de la route cantonale. C’est le capital des frères Stähli, qui ont importé bufflons et bufflonnes d’Italie pour devenir les seuls producteurs romands de mozzarella di bufala. Passé de 16 bêtes en 2000 à plus de 300 actuellement, le troupeau démontre le succès de l’entreprise.
Cette aventure ne doit rien au hasard. Cette mozzarella n’a rien de commun avec celle produite à partir de lait de vache, souvent dure et élastique, dont le goût est moins marqué.
En voyage en Campanie, Daniel se prend de passion pour la vraie mozzarella et réalise que des bufflons amélioreraient la rentabilité de leur ferme du Val-de-Travers. Une bufflonne produit, par jour, trois fois moins de lait qu’une vache, mais il vaut quatre fois plus. Même s’ils sont passés par bien des péripéties, pour acheter des bufflonnes en bonne santé, puis apprendre à faire le fromage «à la manière de», les deux frères ont créé un partenariat avec un fromager de la région, passé du temps en Campanie pour se familiariser avec le savoir-faire local et fait passablement d’expériences, avant de trouver le bon rythme, à partir de 2006.
La fabrication se fait en plusieurs opérations: il faut d’abord pasteuriser le lait, puis le mettre en cuve avec des ferments, qui dégradent le lactose, ajouter de la présure pour le faire cailler et filer le mélange, c’est-à-dire soulever et tirer la pâte de nombreuses fois. Le fromage est enfin «mozzata» (coupé), pour parvenir à la taille idéale pour les futures boules blanches. Produire un kilo de mozzarella nécessite environ 10 litres de lait.
La mozzarella des frères Stähli a vite trouvé son marché et la demande est en augmentation régulière d’année en année. Ils vendent les boules blanches de 125 g chez Migros et Manor, et dans plusieurs commerces de la région. Leur production totale reste du domaine du secret bien gardé: c’est tout juste si Daniel lâche qu’ils produisent, en été, jusqu’à 6000 boules par semaine.
Pour moins dépendre de la seule mozzarella, dont la demande demeure surtout estivale, et diversifier leur production, ils ont mis au point un autre fromage, à pâte mi-dure et au goût corsé, ainsi que des yogourts et un saucisson de bufflon. Bientôt, ils commercialiseront de la mozzarella fumée et de la ricotta, et construiront un bâtiment avec fromagerie et restaurant à la gloire du bufflon, convaincus qu’un potentiel touristique existe autour de l’animal.
En décembre 2007, au Locle, le jury du prix mérite Creawin n’a pas mis longtemps à être séduit par les frères Stähli et leur volonté de développer de nouvelles spécialités issues du lait de leurs bufflonnes.
En outre, l’idée de développement du tourisme vert dans le Val-de-Travers a contribué à faire gagner les deux éleveurs: en effet, ils ont convaincu sans mal que les bufflonnes constituaient une curiosité qui attirerait bon nombre de visiteurs à Travers. Leur fromagerie prévoit la création d’une galerie de visite pour découvrir le monde du buffle. Si le projet aboutit, c’est une dizaine d’emplois supplémentaires qui seront créés sous peu.
JF Ulysse
Légende photo : Mozzarella di bufala, semblable à celle du Val-de-Travers. © Lilyana Vynogradova – Fotolia.com