Vacherin et Gruyère fribourgeois fabriqués à l’alpage

Le Ranz des Vaches et ses armaillis sont intégrés aux festivités de la Fête des Vignerons de Vevey. Les Veveysans ont de tout temps entretenus des liens très étroits avec les gens de la Veveyse fribourgeoise. Les vaches des environs de Vevey partaient en estivage aux Paccots, les échalas venaient de forêts des alentours de Châtel-Saint-Denis, et les fromages embarquaient au port de Vevey afin pour être acheminés à Genève et en France. Ils étaient également échangés contre du vin. Et quand les armaillis redescendaient en plaine, à la fin de l’été, ils rejoignaient les bords du Léman pour s’engager comme brantards lors des vendanges. Leurs filles et leurs femmes travaillaient comme vendangeuses.

La tradition

Comment la tradition se poursuit-elle en 2019? Nous sommes montés au chalet d’alpage du Gros-Praz, dans la commune de Broc en Gruyère, accompagnés par François Raemy, membre de l’Interprofession du Vacherin fribourgeois. Sur l’alpage, le Maître fromager est un jeune homme de 22 ans, Marc Pasquier. Avec sa famille, il possède une cinquantaine de vaches et autant de génisses. C’est l’un des derniers troupeaux de la région dont les bêtes ont conservé leurs cornes. Fin mai, les vaches étaient tout juste arrivées au chalet du Gros-Praz, à Motélon. La saison a commencé avec du retard, en raison d’un début de printemps particulièrement froid. Le Gros-Praz, est l’un des trois chalets exploités par la famille Pasquier. Il est situé à 1000 mètres d’altitude et il offre une vue plongeante sur la commune gruérienne de Charmey. Bientôt, le bétail montera à l’alpage du Jeu de Quilles à 1400 mètres. Il terminera son été sur celui du Fessu
Devant, à 1600 mètres.

L’été, l’un des deux frères fabrique le fromage à l’alpage, tandis que son père et le reste de la famille s’occupent des foins en plaine. En haut, à l’alpage, les vaches broutent de l’herbe à la pousse naturelle, comme elles l’ont toujours fait depuis des siècles. «Ici, aucun engrais n’est autorisé, il n’y a que de la fumure», explique Romain Castella, directeur de l’AOP du Vacherin fribourgeois.

Quatre meules de Vacherin AOP d’alpage, faites la veille. 

Depuis des siècles

C’est un grand honneur que d’avoir pu assister dès 7 heures du matin dans ce chalet du Gros-Praz, à la préparation de deux meules de Gruyère d’Alpage AOP et de quatre meules de Vacherin Fribourgeois d’Alpage AOP. Ces dernières, plus petites et pesant chacune entre 6 et 10 kilos, avaient été faites la veille. Le chalet, avec ses toits de tavillons traditionnels, vieux d’une centaine d’années donnait le sentiment que la fabrication du fromage ne semblait pas avoir changé depuis des siècles. 

Une grande chaudière remplie de 800 litres de lait a été nécessaire pour la fabrication des deux meules. Tout l’intérêt est que le lait de la veille passe en cuve le lendemain ou que celui du matin y passe le soir. Il n’y a que les machines à traire et le thermomètre de température du lait en chaudières, qui soient actuels. Tout le reste est ancien, comme l’énorme chaudière qu’il faut soulever et suspendre au crochet en début de saison ainsi que la grosse poutre qui la porte. La vieille et imposante cheminée culminant à huit mètres bénéficie d’un très bon tirage. Sous la chaudière crépite un feu de bois. «Nous ne sommes peut-être pas dans une fabrication «bio» au sens strict du terme, mais les normes de l’Interprofession du Vacherin, comme de celle du Gruyère, sont sévères: herbages naturels avec fumure, prés dimensionnés pour les troupeaux, pas de surexploitation de ces prés», précise Romain Castella. Le produit est des plus naturels et, d’ailleurs, il est reconnu à sa juste valeur.

Le savoir-faire du fromager est essentiel. Il doit avoir l’œil et le geste. Même si la pression du travail journalier est forte, il ne doit jamais rater une meule de Gruyère ou de Vacherin. Le fromage d’alpage est un plus. L’herbe fraîche produit un lait immédiatement transformé en meules. Chaque alpage a son goût spécifique. C’est un produit unique et rare et la qualité se paie. Surtout que le travail est incessant pour le fromager et ses aides. Ils commencent très tôt le matin et terminent tard le soir. 

Pascal Claivaz

Quand le lait devient fromages
Le Gruyère et le Vacherin AOP d’alpages sont fabriqués uniquement à partir de lait de vaches broutant l’herbe fraîche des prés environnants. Le lait du matin rejoint dans la cuve en cuivre le lait du soir, qui a reposé toute la nuit. Le fromager ajoute des ferments lactiques à base de petit-lait pour faire maturer le lait. Puis, il ajoute la présure, ingrédient naturel extrait d’estomac de veau, pour faire cailler le lait. Au bout de 35 à 40 minutes, le contenu de la cuve s’est transformé en une belle masse compacte. Le lait n’ayant pas été chauffé avant le caillage, il conserve tous ses arômes. Le caillé est alors tranché à l’aide de grands couteaux appelés les «tranche-caillé», jusqu’à l’obtention de grains. Puis, le contenu de la cuve est chauffé progressivement jusqu’à 57°, pendant 40 à 45 minutes. Lorsque la température de chauffage est atteinte, le fromager prélève une poignée de grains, de la taille d’un grain de blé, la malaxe et forme une masse dont il contrôle la texture. Ce matin-là, le contenu de la cuve (le caillé en grains et le petit-lait) a été transvasé dans deux moules ronds, qui ont donné chacun une meule Gruyère AOP d’une trentaine de kilos.