Les cantons tendent la perche aux pêcheurs

Les 30 pêcheurs professionnels du lac de Neuchâtel ne sont pas dans leur assiette. Et pour cause : alors qu’elles étaient relativement stables les années précédentes, les captures de palées et de bondelles ont baissé de 65 % entre 2016 et 2018. De plus, aucune amélioration n’est à attendre pour 2019. Question, mandat, interpellation, résolution : depuis le début de l’année dernière, du coup, les interventions parlementaires se sont multipliées dans les cantons de Neuchâtel, Vaud et Fribourg afin de venir au secours des pêcheurs actifs sur le plus grand plan d’eau entièrement suisse. 

Pas plus tard qu’à la mi-décembre, le Grand Conseil fribourgeois a encore voté une motion demandant, « par tous les moyens », la régulation des grands cormorans et la reconstitution de la faune piscicole du lac de Neuchâtel. Adopté à une forte majorité, ce texte du député broyard Jean-Daniel Chardonnens (UDC) suggère au Conseil d’Etat de s’approcher des autorités fédérales et des cantons partenaires en vue de trouver une solution « rapide et efficace » pour lutter contre la diminution de la population des poissons et sauver la pêche.

Haro sur les cormorans
Sur le lac de Neuchâtel, les pêcheurs souffrent notamment de la concurrence des grands cormorans, de plus en plus nombreux (leur population est estimée à 1200 couples). À la fin juin 2019, une autre députée broyarde, Nadia Savary-Moser (PLR), s’en était déjà inquiétée. Sa résolution, largement acceptée elle aussi par le parlement fribourgeois et s’inscrivant dans la lignée de celle votée un mois plus tôt à la quasi-unanimité par le législatif neuchâtelois, demandait ainsi à la Confédération d’étudier « l’éventualité d’aides en matière d’investissement, voire de paiements directs, pour prendre en compte la situation économique difficile des pêcheurs ». 

Actuellement, une aide de 2000 francs par an est accordée à chacun d’eux en lien avec les dégâts causés aux filets par les cormorans. Pour 2020, les cantons de Neuchâtel, Vaud et Fribourg évaluent la possibilité d’indemniser également des pertes de rendement. « À ce jour, ils n’ont pas la base légale pour octroyer un tel soutien », rappelle le conseiller d’Etat fribourgeois Didier Castella, qui prend cette problématique très au sérieux. 

D’autres mesures
Selon les estimations, les cormorans prélèveraient en effet entre 300 et 500 tonnes de poissons chaque année dans le lac de Neuchâtel alors que les pêcheurs n’ont pu sortir que 160 tonnes de leurs filets en 2018. Du point de vue de la Commission intercantonale de la pêche, les cormorans ne seraient toutefois pas les seuls responsables de la raréfaction des corégones indigènes dans nos assiettes. « La cause n’a pas été formellement identifiée au niveau scientifique », insiste-t-elle. 

En fait, il s’agirait d’une conjonction de plusieurs facteurs, dont des conditions de reproduction peu favorables, la pauvreté du lac en nutriments ou encore la hausse de température de l’eau due au réchauffement climatique… et une pression de prédation importante par les cormorans. Consciente du problème, la commission a donc décidé, à titre expérimental, de revoir la maille des filets à bondelles afin de les adapter à la baisse de croissance des poissons observée depuis plusieurs années. Elle a aussi prévu de doubler le nombre autorisé de nasses à écrevisses afin de permettre aux pêcheurs de diversifier leur production.

Des tirs spéciaux
S’agissant de la gestion du grand cormoran, un projet de modification du concordat concernant la chasse sur le lac de Neuchâtel est en cours de révision par les autorités politiques. Cette modification, dont l’entrée en vigueur est prévue cette année, prévoit d’ouvrir la chasse de cette espèce protégée sur le plan d’eau et de créer un permis de chasse spécial pour les pêcheurs professionnels leur donnant la possibilité d’effectuer des tirs de protection à proximité de leur filet. Afin de renforcer ces mesures, des tirs spéciaux sont en outre réalisés depuis le 1er septembre dernier et jusqu’à la fin février 2020 par les garde-faune des trois cantons.

Par ailleurs, « l’effort de repeuplement pour le lac de Neuchâtel, qui est déjà parmi les plus importants de Suisse, sera encore renforcé », souligne Didier Castella. Et la fermeture de la pisciculture d’Estavayer-le-Lac (FR) « pour cause de dysfonctionnements », peu après l’inauguration en 2016 de cette installation à 2,3 millions de francs, ne remet aucunement en cause les efforts du canton de Fribourg en matière d’alevinage. Les trois cantons de Neuchâtel, Vaud et Fribourg ont en effet décidé de créer une pisciculture intercantonale à Colombier (NE). Car, comme le relève le ministre fribourgeois, « les poissons ne connaissent pas de frontières ».   

Francis Granget