Elodie Manesse 24 ans, cheffe de partie au Restaurant Vieux-Bois de l’Ecole Hôtelière de Genève, a remporté le Cuisinier d’Or 2017 à Berne. Ses deux plats de poisson et de viande se sont révélés des chefs d’oeuvre esthétiques. Et gustatifs.
Elodie Manesse a 24 ans et elle a remporté le Cuisinier d’Or 2017, comme nous l’avions déjà écrit dans une précédente édition de notre journal. Son jeune commis de cuisine Robin Bessire, 17 ans, a été élu Meilleur commis de Suisse. C’est une belle récompense pour un effort quasi surhumain de concentration, de minutie et d’excellence. 5 heures et 30 minutes de concours sans lever les yeux. A la fin, il en est sorti un chef d’œuvre de précision et d’esthétique et sans doute aussi de goût. Une grande cheffe nous est née, qui a coiffé au poteau (par deux fois, la première lors de la demi-finale) ses cinq autres concurrents plus âgés, tous des hommes et tous alémaniques.
Le gratin des jury
Robin a été aspiré par la vague Elodie. Fera-t-il comme elle, qui avait été le commis de Filipe Fonseca Pinheiro, vainqueur du Cuisinier d’Or de 2015? En tout cas Elodie Manesse, cheffe de partie du restaurant gastronomique Vieux-Bois de l’Ecole hôtelière de Genève (EHG), se retrouve dans les étoiles. Le président du jury du Cuisinier d’Or était Frank Giovannini, le chef du Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier (3 étoiles Michelin). «Chef Franck» l’a formée à Crissier pendant 4 ans. Dans le jury également, Anton Mosimann le cuisinier de la Reine d’Angleterre, l’un des meilleurs chefs du monde. Après le concours, il nous racontait qu’il cuisinait régulièrement pour la Reine et sa famille, notamment le Prince Charles, que Sa Majesté avait un solide appétit et qu’elle appréciait tous ses plats. Son «Mosimman’s», situé dans une ancienne église presbytérienne du quartier de Westminster, attire à sa table tout le gratin de la haute société anglaise et internationale. La Reine d’Angleterre lui confie régulièrement ses buffets et ses réceptions officiels. Remporter le Cuisinier d’Or devant un tel jury, ce n’était pas rien. Elodie Manesse avait fait son tour de chauffe il y a deux ans. Elle était alors le commis de Filipe Fonseca Pinheiro, chef de partie de l’Hôtel de Ville de Crissier, qui avait remporté le Cuisinier d’Or 2015. A Berne au concours sponsorisé par Kadi, le fournisseur de produits pour la restauration, elle a remercié chaleureusement Filipe, qui l’a formée comme cheffe de partie. Filipe avait lui-même concouru, en janvier passé, au Bocuse d’Or de Lyon.
Demi-finale et finale
Et comment s’y prend-on pour remporter un concours? «Il faut d’abord trouver une idée pour venir ici et ensuite il faut que ça mûrisse et surtout que ça tienne la route», répondait la jeune championne. Il faut croire que tout cela est arrivé à bonne maturité, vu qu’Elodie Manesse avait déjà remporté la demi-finale organisée au centre commercial Glatt de Wallisellen. Déjà on pouvait penser que l’incroyable allait se produire, à moins d’un vote politique. Mais le vote politique n’a pas eu lieu, preuve que la jeune cheffe était un cran au-dessus de ses concurrents. A l’arrivée, on a pu admirer ses deux plats (cabillaud et crevettes et carré de porc pour 14 personnes), leur complication, leurs couleurs, leur esthétique, la finesse de leurs ciselures. C’était déjà beau. Il fallait encore que ce soit bon.
Nuit sans sommeil
«Le plus dur, c’est la préparation avant le concours», poursuivait-elle. «Et la nuit passée, je n’ai pas beaucoup dormi. J’avais la boule au ventre. Mais ça s’est envolé dès que le concours a commencé. Comme un acteur qui entre en scène. Il n’y a plus que le plaisir de concocter un plat très spécial et très compliqué».
Une patronne
Concentration, maîtrise. On la ressentait déjà comme une vraie patronne. Une meneuse d’hommes. Il n’était que de la voir appeler et rappeler son jeune commis pour les honneurs de l’après concours. Préalablement à la distribution des prix, elle était descendue en tenant Robin par les épaules, comme une vraie équipe. Ce qui fit dire à une spectatrice, émue: «elle est gentille avec son commis, ce n’est pas un sous-fifre. C’est la seule qui a fait ça». D’ailleurs Elodie a rendu hommage à son commis lors de l’interview de Sven Epiney, animateur vedette de la télévision suisse alémanique (RTS): «Robin m’a bien soutenue et appuyée, nous avons une vraie entente. C’est un guerrier, jamais il ne lâche». Jamais il n’a cédé à la panique, pendant tout le temps ou’ il a dû sculpter et ciseler les tagliatelle et les penne destinées à entourer les bouchées composées par Elodie.
Pas de Bocuse d’Or
Et dans la vraie vie, c’est comment? C’est un concours tous les soirs en cuisine? «A Vieux-Bois, j’ai pris l’habitude des montages compliqués. La cuisine là-bas, c’est tous les jours comme aujourd’hui, stressant.» Et le Bocuse d’Or? «Tout le monde me pose la question, mais c’est non. Pour le moment c’est déjà très bien d’avoir gagné le Cuisinier d’Or et je veux terminer et digérer ce concours. Ce soir, je vais faire la fête et après on verra. » Maintenant, elle est invitée à partager son menu dans quatre palaces suisses, pour 60 convives à chaque fois. Elle est devenue une référence dans les meilleures tables du pays. Après? «Je pense avoir mon restaurant. Mais cheffe, ça me va aussi». Et comment a-t-elle senti qu’elle avait la fibre, le don, le talent? «J’ai toujours aimé les métiers de bouche. Mes parents étaient dans la restauration. Mon papa avait l’Auberge de la Couronne à Apples. Avant, il était chez Monsieur Girardet». Toujours Crissier.
Elodie Manesse est tombée dans la marmite de la grande cuisine quand elle était petite.
Pascal Claivaz