La Semaine du Goût véhicule des valeurs et des leviers majeurs de la société 3.0., à l’aulne des profondes mutations écologiques, économiques et sociales que nous vivons. Entretien avec Sandrine Salerno, Conseillère Administrative qui porte cet évènement avec Luc Barthassat dans le cadre de l’Agenda21, en collaboration avec la SCRHG, le DETA et l’OPAGE.
Comment la Semaine du Goût peut-elle amener les consommateurs et les influenceurs à consommer responsable et favoriser l’offre locale et de saison?
La Semaine suisse du Goût est un évènement national important. L’évènement fonctionne bien, de manière générale, il rencontre les attentes d’un public et les moments proposés fonctionnent bien. Depuis 5 ans, il s’inscrit dans la politique de la ville de Genève, au travers du programme «Nourrir la Ville», qui relie les filières agricoles, alimentaires et les consommateurs.
Nos modes de consommation et de production ont bien changé en un siècle. Le budget voué à l’alimentation se limite aujourd’hui à 12% du budget d’une famille, contre 40% au début du siècle passé. Or l’alimentation a un impact déterminant sur la santé et le bien vieillir des populations. La majeure partie de la population consomme une nourriture industrielle trop riche en graisses saturées, trop sucrée, trop salée… Nous achetons fruits et légumes indépendamment de leur saisonnalité, ce qui a des répercussions sur les ressources naturelles. «Nourrir la Ville» invite les citadins à une consommation plus responsable, via un discours de sensibilisation non culpabilisant et, surtout, en proposant des alternatives concrètes. Dans l’idée de rapprocher les producteurs des consommateurs et de valoriser le «fait maison», puis chez soi au quotidien, la Semaine du Goût amène un cadre à la fois gustatif, convivial et ludique pour engager un dialogue et une démarche personnelle.
Il est important de rappeler aux Genevois que notre terre fait vivre des producteurs locaux. Chaque année, des exploitations agricoles ferment leurs portes, accroissant notre dépendance envers le secteur agro-alimentaire hors de Suisse, soulevant une réelle problématique (sécurité alimentaire, économie). Pour rétablir ce lien entre la terre et le consommateur et créer une génération attentive au bien manger et au fait maison, dès le plus jeune âge, nous organisons des interventions dans les crèches et les écoles primaires. Nous avons un bon retour d’expérience dans notre collaboration avec GRTA.
Que répondez-vous au citoyen qui évoque souvent le coût des bons produits, notamment du Bio? En avons-nous tous les moyens?
Concrètement, le kilo de carottes BIO est moins cher que l’équivalent en plat précuisiné. Le réel débat porte sur le juste prix des choses et sur les priorités budgétaires. Est-il plus important d’acquérir le dernier smartphone ou de manger sainement? Nous avons fait fausse route, en choisissant de nourrir nos enfants avec des légumes bon marché, appauvris par une production intensive.
L’alimentation industrielle a un impact énorme sur la santé publique (sédentarité, obésité, maladies cardio-vasculaires, cancers). La demande d’un étiquetage transparent pour le consommateur donne lieu à un véritable bras de fer, questionnant le monopole de l’industrie agro-alimentaire. Or la facture santé à la charge de la collectivité risque d’être démesurée. Les défis d’un changement de comportement d’achat et d’habitudes de vie sont donc bien réels. Nous misons aussi beaucoup sur la promotion de l’activité physique.
Pour finir sur une note réjouissante et en guise d’anecdote, l’inauguration récente du supermarché coopératif NID (à la Jonction) a rencontré l’engouement d’un nombreux public de la tranche 17-40 ans, cette génération qui n’a plus envie de manger n’importe quoi. La Ville de Genève apporte par ailleurs un soutien financier aux projets entrepreneuriaux dans le commerce durable.
La Semaine du Goût a-t-elle motivé les restaurateurs à adopter une politique d’achat durable?
Le lien avec la Société des Cafetiers, Restaurateurs et Hôteliers de Genève sur cet évènement nous a permis de bien sensibiliser les restaurateurs locaux. Cela a été une bonne porte d’entrée vers les métiers de bouche, des acteurs déterminants de la chaîne producteur-consommateur. Nos rencontres mettent en lumière ce nouveau type de restauration. En 2017, 45 restaurants ont participé, dont cette nouvelle lignée de restaurateurs qui réfléchit à la qualité des produits, achète local et de saison et valorise les produits oubliés, offrant une belle expérience pour la clientèle. Ils désirent un autre type de proposition culinaire, une autre relation avec le producteur, d’autres types de discussions avec le client. Dans certains établissements, le patron explique au client pourquoi il a choisi un produit, d’où il vient, etc. Le restaurateur tient un rôle clé pour reconstruire un lien de confiance entre le producteur et le consommateur. Pour les professionnels, un Guide des achats responsables est téléchargeable sur le site de la Ville.
Quels points aimeriez-vous pousser davantage dans les prochaines éditions de la Semaine du Goût?
Si se nourrir bien a un coût, le producteur doit être rémunéré pour ne pas disparaître. Notre rôle est d’amener graduellement les acheteurs individuels et collectifs à questionner leurs priorités. Nous allons continuer à offrir des alternatives pour accompagner la transition alimentaire, à étendre chaque année l’ampleur à l’évènement, qui va probablement être déplacé de la Treille au Parc des Bastions dès 2018. Depuis 2 ans, nous recevons davantage de producteurs, nous voulons les accueillir dans de bonnes conditions. Nous voulons encore développer les liens avec le DETA, l’OPAGE et aller vers un évènement intercommunal. Et qui sait, avec nos 5 ans d’activité, Genève aurait tout à fait l’envergure et l’expérience nécessaire pour poser sa candidature comme Ville du Goût en 2019!
Pamela Chiuppi