Le projet de TTIP, aussi ambitieux qu’ambigu, vise notamment à maintenir la place de l’Europe dans les relations commerciales entre les grandes régions du monde. Son aboutissement est encore incertain, mais la Suisse doit d’ores et déjà se préparer aux effets qu’il pourrait avoir.
Des accords entre les grandes régions du monde
Le projet de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP en anglais) soulève de nombreuses interrogations et inquiétudes dans la population. C’est le lot de la plupart des grands traités commerciaux internationaux, destinés à faciliter les échanges mais susceptibles aussi, selon ce qu’ils contiennent, d’entraîner des effets négatifs pour certains pays ou certains secteurs d’activité. Certaines craintes sont aussi alimentées par la méconnaissance du sujet.
Le TTIP s’inscrit dans le cadre des «méga-accords» de libre-échange négociés entre certaines grandes régions du monde, dans le but notamment de suppléer aux limites et aux blocages que connaissent actuellement les projets d’accords mondiaux sous l’égide de l’OMC.
Parmi ces «grandes régions», l’Europe arrive en tête – en termes de valeur des échanges internationaux. L’Asie, principal partenaire économique de l’Europe, vient en deuxième position, devant l’Amérique du Nord dont le poids est plus modeste qu’on le croit parfois. Mais les échanges de l’Amérique du Nord avec l’Asie (autour de la zone Pacifique) apparaissent considérables, davantage qu’avec l’Europe (zone Atlantique). Un Accord de partenariat trans-Pacifique (TPP), conçu comme traité de libre-échange classique, a d’ores et déjà été signé et se trouve en phase de ratification. C’est donc pour maintenir et affirmer sa place dans les échanges mondiaux que l’Europe s’intéresse aujourd’hui à un partenariat avec les Etats- Unis – sans compter que, des deux côtés de l’Atlantique, on mise sur un tel accord pour relancer une croissance en panne.
L’ambition de créer de nouveaux standards pour le libre-échange
Le projet TTIP va plus loin qu’un simple accord de libre-échange. Plus que l’élimination des barrières tarifaires, qui ne concernent qu’une petite minorité des échanges, c’est l’abaissement des barrières non tarifaires qui est visé, en particulier au travers de normes techniques et de règles commerciales communes. L’objectif serait même de créer de nouveaux standards politiques, économiques et juridiques pour les relations de libre-échange.
On peut comprendre que certains redoutent, dans ce contexte, une «mondialisation» des règles commerciales américaines. Le résultat promet toutefois de rester un peu plus modeste. Il semble en effet déjà acquis que le TTIP ne couvrira pas les services d’intérêt général (eau, santé, services sociaux, énergie), ni les services financiers, ni les marchés publics, ni les indications géographiques protégées, et que l’Union européenne n’acceptera pas d’assouplir ses normes sanitaires, environnementales et sociales. En outre, la question de la protection des investissements privés face aux pouvoirs publics, si elle ne trouve pas de solution satisfaisante, risque de faire échouer l’ensemble du projet.
Pour la Suisse, un dossier à suivre attentivement
L’aboutissement du TTIP et son contenu précis restent donc encore largement incertains. Pour autant, la prudence exige que la Suisse suive attentivement ce dossier et prépare quelques scénarios. Il serait en effet difficilement envisageable de rester à l’écart d’un axe euro-américain qui absorbe aujourd’hui environ les deux tiers de nos exportations. Des secteurs comme la chimie, l’horlogerie, l’industrie des machines ou encore l’industrie alimentaire pourraient se retrouver en position défavorable face aux produits de l’UE. Entre la possibilité d’un ralliement unilatéral au TTIP et celle de négociations précipitées avec les Etats-Unis, il n’existe sans doute pas de solution idéale pour la Suisse. Ce que celle-ci peut faire de mieux pour se préparer est, d’une part, de se coordonner avec les autres Etats européens hors UE, qui se trouveront face au même problème, et, d’autre part, de stabiliser rapidement ses relations institutionnelles avec l’UE.
L’objectif doit rester la préservation de nos droits d’exportation, en suivant au mieux l’évolution des règles commerciales internationales et en les appliquant avec le même soin que nos partenaires.
Pierre-Gabriel Bieri