Une clause de sauvegarde est une option réaliste

Le projet présenté par le Conseil fédéral en vue de mettre en œuvre le nouvel article 121a de la Constitution («gestion de l’immigration») constitue une base de travail honnête et réaliste, contrairement à ce que prétendent certains commentateurs. Il importera toutefois de poursuivre la réflexion afin d’assurer davantage de légitimité et d’acceptabilité à la solution d’une clause de sauvegarde. Le Centre Patronal a déjà présenté des propositions en ce sens. 

La solution de la clause de sauvegarde
Deux ans après la votation du 9 février 2014 sur l’initiative populaire «contre l’immigration de masse», le Conseil fédéral a transmis au Parlement un projet de mise en œuvre du nouvel article constitutionnel. Selon ce projet – dont on connaissait déjà les grandes lignes –, les autorisations de séjour des ressortissants extra-européens continueront à être accordées sur la base de contingents, ces derniers étant toutefois adaptés. Quant aux ressortissants des Etats membres de l’UE/AELE, qui bénéficient aujourd’hui de l’Accord sur la libre circulation des personnes, ils seront soumis à une clause de sauvegarde. 
Pour définir précisément cette clause de sauvegarde, le Conseil fédéral espère trouver une «solution consensuelle avec l’UE». Mais dans l’attente de savoir si un tel accord est possible (on sait déjà que Bruxelles ne veut rien négocier avant le 23 juin, date du vote de la Grande-Bretagne sur son éventuelle sortie de l’Union), et pour respecter le délai constitutionnel qui impose de trouver une solution d’ici au 9 février 2017, le projet transmis aux Chambres prévoit une clause de sauvegarde qui serait proclamée unilatéralement par la Suisse.
Cette clause de sauvegarde ne serait activée qu’à partir d’un certain niveau d’immigration, non pas automatiquement mais sur décision du Conseil fédéral. Des contingents seraient alors fixés pour l’année suivante; les citoyens des pays UE/AELE ne seraient toutefois pas soumis à un contrôle systématique des qualifications professionnelles et du respect des conditions de travail. Le Conseil fédéral pourrait déléguer aux cantons la répartition des nombres maximaux en contingents cantonaux. 
Le paquet législatif est complété par des mesures annexes visant notamment à éviter le recours à l’aide sociale ou la prolongation indue du droit de séjour par des étrangers sans emploi. 

Des critiques injustifiées 
La presse a accueilli ce projet avec beaucoup de mauvaise humeur, rivalisant de critiques sur l’incapacité du gouvernement à présenter une solution réaliste. On a cru sentir chez certains commentateurs comme une satisfaction malsaine à évoquer un échec des négociations avec Bruxelles, ou les probables mesures de rétorsion contre la Suisse en cas d’activation d’une clause de sauvegarde unilatérale. Les réactions ont été heureusement un peu plus nuancées au sein du monde politique. 
La réalité est que le Conseil fédéral suit pour le moment la meilleure voie possible, ou presque. Son projet vise à respecter au mieux la volonté populaire, ainsi que les délais de mise en œuvre, ce qui est plus honnête que de se croiser les bras en disant que ça ne marchera pas. Il s’appuie sur le système d’une clause de sauvegarde, favorable à l’économie privée dans la mesure où il évite l’automaticité et la permanence d’un système de contingentement bureaucratique. La notion de clause de sauvegarde n’est en outre pas totalement inconnue au sein des institutions européennes, ce qui permet d’espérer une solution négociée avec Bruxelles, tout en conservant le «plan B» d’une clause unilatérale. L’idée d’un accord n’est pas forcément aussi absurde qu’on veut nous le faire croire. Les institutions européennes sont confrontées à un désordre croissant: les flux migratoires qui convergent vers l’Europe, de même que les risques liés au terrorisme, amènent aujourd’hui les Etats à reprendre «de force» le contrôle de leurs frontières, avec ou sans l’aval de Bruxelles, au point qu’à certains endroits les accords de Schengen et Dublin n’existent pratiquement plus que sur le papier. Face à cette situation, l’intransigeance ombrageuse des dirigeants de l’UE devra tôt ou tard s’assouplir.

Deux propositions pour renforcer la légitimité et l’acceptabilité
Le projet du Conseil fédéral pourra être amélioré sur certains points de détail, par exemple sur la question des étudiants étrangers qui ne devraient pas être assimilés aux autres immigrés, ou sur la possibilité pour les cantons de gérer de manière autonome leurs contingents de frontaliers. Mais plus fondamentalement, ce qui lui manque encore, c’est une légitimité plus solide. Il y a lieu de rappeler ici la proposition présentée il y a bientôt une année par le Centre Patronal et le ministre vaudois de l’économie, consistant à inscrire le principe d’une clause de sauvegarde non pas dans la loi mais dans la Constitution fédérale, en passant par un scrutin populaire. Ce nouveau vote ne demanderait pas aux citoyens de se déjuger – comme le voudrait l’imprudente initiative «RASA» – ni de se prononcer sur une nonsolution – comme l’inscription de la voie bilatérale dans la Constitution – mais bien plutôt d’approuver un mécanisme de mise en œuvre de leur première décision. Ce mécanisme obtiendrait ainsi une légitimité appréciable, y compris vis-à-vis des autorités européennes. Enfin, la solution d’une clause de sauvegarde devra aussi être acceptée sur le plan interne par les représentants des travailleurs. En ce sens, on ne comprend pas le refus du Conseil fédéral d’entrer en matière sur un possible renforcement du partenariat social. Sur cette question également, le Centre Patronal a présenté il y a plus d’une année une proposition originale qui permettrait de déclarer obligatoires certaines conventions collectives même en l’absence d’une représentativité majoritaire des employeurs. Ce système, dit de «quorums coulissants», a été expressément présenté aux autorités fédérales. Il constituerait un élément parmi d’autres pour assurer un plus large soutien aux efforts du gouvernement. La réflexion doit donc se poursuivre, le projet du Conseil fédéral constituant une bonne base de départ.

Pierre-Gabriel Bieri