L’art culinaire selon Thierry Marx

 

C’est au Café Calla du Mandarin Oriental Genève, que le chef Thierry Marx avait fixé rendez-vous, du 12 au 16 avril, à tous ceux qui souhaitaient goûter ses «performances» culinaires. Thierry Marx, on le connaît peu. A l’inverse de ses collègues, à part sa participation à l’émission Top Chef de 2010 à 2014, il est peu présent dans les médias. Entretien avec un atypique de la «planète cuisine».

Pour vous, la cuisine est-elle aussi un art?
La cuisine est bicéphale. C’est à la fois un art et un artisanat. Artisanat par le fait de la nécessaire maîtrise du geste et du temps. Art par le fait que l’on essaye de la faire évoluer vers la cuisine d’auteur. Un chef doit être capable de passer du «savoir-faire» au «savoir-faire faire»; c’est-à-dire s’émanciper de la technique pour transmettre un état d’esprit. 

Comment vivez-vous le fait d’être venu à la cuisine plus tard que vos pairs?
Plutôt bien. Certes, il a fallu entrer dans cet univers de la cuisine française où si vous ne bénéficiez pas d’un adoubement ni êtes le fils de X ou Y, personne ne vous attend. Pour être accepté au sein du «club» vous devez donc faire vos preuves.

Qui sont?
Rigueur, engagement et régularité.

Cette «arrivée tardive» n’est-elle pas un handicap pour figurer dans le «Top Ten»?
Probablement. Mais je ne le crois pas car je suis dedans. Cependant, il faut savoir se situer et à mon avis, le «Top Ten» n’est pas important. C’est le «Top Five» le plus important. 

Pour vous, que représente la cuisine moléculaire?
C’est faire de cela un outil de compréhension pour améliorer le confort de dégustation. Je me suis beaucoup inspiré de la cuisine japonaise (Thierry Marx a vécu de nombreuses années au Japon où il retourne souvent. NDLR). Contrairement à ce que l’on peut penser, elle a un point commun avec la cuisine française: la maîtrise du geste, du feu et du temps. De plus, les deux sont environnementales car elles varient en fonction des saisons. Il y a une chose fondamentale qu’il ne faut pas oublier quand on parle de «saisonnalité»: il y a ce que produit la nature et ce que l’on va en faire. Mon métier est de donner un confort de dégustation. Il n’y a pas que le visuel qui a de l’importance. 

Pensez-vous qu’aujourd’hui, pour être célébré, il faille faire de la cuisine «tendance» ?
Les modes passent, les styles restent. Le plus important, c’est de durer. Je suis convaincu que la cuisine d’auteur est ce qui durera.

Quelle a été votre motivation pour donner des cours de cuisine dans les prisons?
Je n’ai pas oublié que je suis né dans un quartier populaire de Paris, à Ménilmontant (quartier du XXe arrondissement de Paris. NDLR). J’avais pensé qu’en donnant ces cours de cuisine un jour par semaine, je participerais à un but environnemental; celui d’aider à l’épanouissement et à la reconversion professionnelle de prisonniers condamnés à de longues peines, à travers un projet pour l’ «après», pour quand ils sortiront enfin de prison. Cela fait 15 ans que je travaille dans ce domaine, cinq ans en milieu ouvert et autant en milieu fermé, carcéral. Et cela fonctionne, du moins en milieu ouvert, puisque le retour à l’emploi a touché 92% d’entre eux.

Par quel procédé? 
Je travaille avec des organismes proposant des candidats sélectionnés sur la base d’un projet. Ces cours de formation durent 12 semaines à raison de 5 jours par semaine. Ils sont entièrement gratuits mais en échange nous exigeons ni retard ni absence. Durant le cours, ils ont l’occasion d’apprendre 80 gestes de base du parfait commis ainsi que 90 recettes de base, dont quatre recettes de cuissons des œufs, du poisson, des légumes et de la viande, ainsi que cinq recettes de desserts. A la fin de la formation, ils reçoivent un diplôme CQP (Certificat de Qualification Professionnelle). 

Le mot de la fin?
Je n’appartiens à aucune tendance. Je n’appartiens qu’à moi-même. Car je fais mienne cette citation de Confucius: «On peut peut-être créer quelque chose une fois dans sa vie, mais on peut en améliorer mille». 

Lionel Marquis