Vin du Glacier: 500 ans d’histoire

Autrefois, il se composait traditionnellement d’un mélange de 90% de rèze avec 10% d’humagne blanc, d’ermitage, de petite arvine et de malvoisie. 

C’est au 16e siècle que ce vin blanc du val d’Anniviers a vu le jour. Il est né de la transhumance; ce mode de vie qui faisait que les familles se déplaçaient selon les saisons, entre la plaine et la montagne pour y effectuer les travaux de saison. A la fin de sa fermentation, le vin était monté à la fin de l’hiver pour compléter le tonneau de mélèze où vieillit le Vin du Glacier. Chaque année, du vin nouveau vient s’ajouter à l’ancien. Le principe du Vin du Glacier est extrêmement simple: les tonneaux ne sont jamais vidés et chaque année, au mois de mai-juin, on complète les tonneaux du Glacier en tenant compte de l’ancienneté. Le plus âgé pouvant avoir plus de 125 ans! C’est ainsi que le vin d’un tonneau de 1888 ira se mélanger à celui de 1886; celui de 1934 complétera le tonneau de 1888 et celui de 1969 remplira le tonneau de 1934 et recevra le vin nouveau.

Du val d’Anniviers…
Le Vin du Glacier de la Bourgeoisie de Grimentz est le plus connu. Comme on l’a vu, il est élevé dans des tonneaux en bois de mélèze pendant 10 à 15 ans. Le Vin du Glacier est un mythe œnologique qui se déguste uniquement dans les caves du village de Grimentz, tiré directement depuis le tonneau. A moins de connaître un habitant de la vallée disposé à partager un verre de sa réserve personnelle, il ne reste qu’une occasion de le découvrir: lors des visites organisées par l’Office du Tourisme de Grimentz. La Cave de la Bourgeoisie de Grimentz abrite entre autre le célèbre «Tonneau de l’Evêque», le vin de 1886.  Autrefois destiné à l’Evêque, il est aujourd’hui également servi aux hôtes de marque lors d’occasions spéciales. Vin très oxydé et rude, il est cependant d’une force peu commune, selon Dominique Fornage l’œnologue de l’Ecole Nobilis du Vin à Sion. 

Pour justifier de l’appellation «vin du Glacier», l’article 54b de l’Ordonnance cantonale sur la vigne et le vin (OVV) précise que «le Vin des Glaciers est un vin blanc d’appellation d’origine contrôlée produit dans le district de Sierre, élevé dans le val d’Anniviers selon la tradition locale; à  savoir élevage qui s’opère dans des fûts de mélèze et dans des caves situées à une altitude minimum de 1200 mètres. Il est élaboré avec des vins d’un ou de plusieurs cépages, de plusieurs millésimes, présentant une tendance oxydative; la durée minimum d’élevage est de quinze ans à partir du premier millésime mis en fût». 

A Grimentz, la commune la plus renommée, on dénombre plus de 40 caves de maisons familiales dévolues à la conservation de ce précieux nectar. Parmi celles-ci, la Cave Bourgeoise d’Ayer, Jean-Marc Loye, André Melly et Jean Theytaz-Ayer qui propose deux crus: un de 1918, l’autre de 1945. 

En 2007, Clément Salamin, alors président de la bourgeoisie de Grimentz, avait milité en faveur d’une AOC pour ce vin d’un type particulier. Une telle démarche aurait impliqué que le Vin du Glacier puisse être vendu en bouteille. Ce qu’a refusé l’OVV, respectant et protégeant ainsi la tradition vinicole anniviarde. Aujourd’hui encore, il faut venir dans la vallée pour déguster du Vin du Glacier. 

… à la Vallée d’Aoste ensuite
De l’autre côté de la frontière, c’est sur la gauche orographique de la Doire Baltée, celle exposée au sud et adossée au massif du Mont-Blanc, sur les territoires des communes de Morgex et de La Salle – la Valdigne – qu’est cultivé, à une altitude variant entre 850 et 1’225 mètres, le prié blanc qui donne naissance au Vin de Glace. Le prié blanc est une variété autochtone, signalée à la fin du 18e siècle par De Saussure. C’est en 1816 que serait né ce procédé de vinification, selon un document trouvé au château Châtelard de La Salle. En ce temps-là, à fin novembre, le raisin, pas encore mûr fut laissé sur les vignes. Après les gelées, il fut vendangé et pressé encore gelé. C’est de là que naquit, par hasard et par chance, le vin de glace.

La viticulture de la Valdigne couvre environ 18 hectares et bénéficie d’un climat semi-continental, avec une pluviosité autour de 700 mm/an seulement et des sols de type gréseux à sablonneux. Deux conditions idéales pour le développement du raisin qui, à 1’200 mètres, est immune des attaques de phylloxéra. Quant au prié blanc, il détient trois qualités: vinifié avec rigueur, il produit des vins blancs de caractère affirmé, des mousseux à la minéralité superlative et des vins de méditation de grande complexité. 
Vendangé glacé
En 1989 l’administration régionale, qui avait obtenu entre 1971 et 1972 la dénomination d’origine contrôlée, décide de construire la cave qui accueille le siège de la coopérative. Celle-ci regroupe toutes les entreprises productrices de la région, qui sont de dimension très réduite (80 viticulteurs sur 85, pour une production de 150’000 bouteilles environ). La Cave est la seule maison vigneronne valdotaine produisant du vin mousseux selon la méthode traditionnelle A.O.C. Les petites bulles des glaciers sont nées grâce à la technique classique champenoise appliquée depuis 1983 en Vallée d’Aoste. 
Chaque année, au mois de décembre, le prié blanc, est vendangé glacé au clair de lune, quand la température descend au-dessous de -6o C, puis rapidement mis en cave où les grains encore gelés sont immédiatement pressés afin d’obtenir une plus grande concentration des arômes et des sucres, tandis que le moût est vinifié par la suite dans des fûts de bois. La production annuelle de Vin de Glace ne dépasse pas les 4’000 bouteilles, dont 85% est vendu sur le marché italien.

Pour la maturation du «Chaudelune Vin de Glace», la Cave dispose de nombreux fûts de chêne ou d’essences locales, de plusieurs dimensions et en utilisant deux techniques: élevage sur lie par bâtonnage classique au cours de la fermentation et de la maturation et ancienne technique méditerranéenne de l’oxydation durant l’élevage. Ainsi, le Vin de Glace représente un véritable pont entre deux philosophies: la glace germanique appliquée lors des vendanges et l’oxydation latine. 

Le blanc de Morges et de La Salle se présente comme un vin de couleur jaune paille avec des reflets verdâtres. Son parfum lie arôme de pêche blanche, poire et herbes de montagne. Peu alcoolisé (13%), il se marie fort bien avec le Bleu d’Aoste, les fromages aux herbes, la pâtisserie sèche et le nougat. 

Lionel Marquis