Edito – Caisse unique: moins de liberté pour le même prix?

La proposition de créer une caisse-maladie unique et étatique ne laisse entrevoir aucun espoir sérieux de diminution des coûts de la santé. Une telle étatisation n’améliorerait en outre certainement pas les relations avec les assurés, les patients et le corps médical. Le seul résultat serait une perte de liberté par rapport aux choix actuellement offerts aux assurés et aux patients.

Troisième initiative pour une caisse unique
Après les échecs très nets de 2003 et de 2007, les citoyens et les cantons suisses vont devoir répondre pour la troisième fois à la question de savoir s’ils veulent une assurance-maladie unique et étatique. L’initiative soumise aux citoyens et aux cantons suisses le 28 septembre prochain s’intitule «Pour une caisse publique d’assurance-maladie». Le texte réclame «une institution nationale unique de droit public» avec «des agences cantonales ou intercantonales», les primes étant «fixées par canton et calculées sur la base des coûts de l’assurance-maladie sociale». Cette institution serait dirigée par des organes composés «notamment de représentants de la Confédération, des cantons, des assurés et des fournisseurs de prestations». Les auteurs de l’initiative espèrent profiter du mécontentement permanent, voire grandissant, de la population envers les caisses maladie. Celles-ci sont régulièrement accusées d’être responsables, par leurs frais, leurs réserves et leurs politiques commerciales, de l’augmentation régulière et douloureuse des primes. Leurs procédures et règlements sont également montrés du doigt, tant par certains patients que par une partie du personnel médical. Beaucoup de gens se laissent séduire par l’idée qu’une caisse unique réaliserait des économies substantielles tout en simplifiant le remboursement des frais médicaux. Les coûts de la santé ne diminueront pas En réalité, la lourdeur et le coût de notre système de santé sont dus à des facteurs bien connus, dont certains découlent de choix délibérés. L’introduction de l’assurance- maladie obligatoire en 1994, en rendant les citoyens prisonniers d’un système de solidarité collective, a porté un premier coup sévère à la liberté et à la responsabilité individuelle. Parallèlement, l’espérance de vie augmente, accroissant les coûts médicaux liés à l’âge. Enfin, la population s’est habituée à des services de très haut niveau – luxueux diront certains – où médecins et hôpitaux abondent et où la médecine n’est plus seulement une aide d’urgence ou de nécessité mais un facteur de bien-être. Tout cela a un prix, évalué à 68 milliards de francs par année, soit plus de 700 francs par mois et par personne, dont environ 36% à la charge de l’assurance obligatoire et 20% payés par les pouvoirs publics. A partir de là, il ne s’agit pas de défendre tout ce que font les caisses-maladies – anathème régulièrement lancé sur les opposants à une caisse unique – mais d’examiner si le passage à un système étatique améliorerait les choses. Sachant que les coûts administratifs des caisses actuelles représentent en moyenne 5,5% des primes – alors qu’une assurance publique comme la SUVA/CNA arrive au double –, que les coûts de marketing et de publicité n’atteignent que 80 millions de francs par année, que la diminution des réserves ne serait qu’une opération unique et que les investissements pour créer la nouvelle institution et changer de système sont évalués à environ deux milliards de francs 
– le processus pouvant s’étaler sur dix ans –, les espoirs d’une diminution des coûts apparaissent définitivement illusoires. 

Les citoyens sont-ils prêts à abandonner leur liberté?
Les relations avec les patients et le corps médical pourraient-elles au moins s’en trouver améliorées ou simplifiées? La nouvelle institution serait-elle animée de la meilleure volonté du monde qu’elle n’en resterait pas moins dans cette position difficile de devoir arbitrer les intérêts des assurés, des patients, des médecins et des pouvoirs publics. Sauf à tolérer une dérive complète du système, il faudra continuer d’effectuer des contrôles, d’imposer des règles. Si les assurés se plaignent parfois, à juste titre, d’être maltraités par les caisses actuelles, ils doivent avoir à l’esprit ce que signifierait une étatisation dans le sens voulu par l’initiative: la fixation d’une prime unique par canton ne laisserait guère de place au vaste choix des modèles que nous connaissons aujourd’hui, avec les réseaux de soins, les franchises variables, les primes différenciées en fonction de divers critères. Non seulement l’assuré n’aurait plus qu’un interlocuteur unique, mais on ne lui proposerait également qu’un produit unique. Quant au libre choix du médecin, déjà souvent remis en cause aujourd’hui, il résisterait encore plus difficilement à la volonté régulatrice et au poids politique d’une caisse publique. La comparaison avec certains pays étrangers montre que le système de santé helvétique se caractérise par une exceptionnelle liberté de choix. Les citoyens sont-ils prêts à brader cette liberté pour le seul plaisir de manifester leur désamour envers le système actuel? Ce serait tomber de Charybde en Scylla.
(PGB)