Préserver le patrimoine dans un contexte économique et écologique changeant

Qui peut rester insensible au panorama majestueux du Lavaux et ses vignes en terrasses qui lui ont valu d’entrer en 2007 au Patrimoine mondial de l’UNESCO? Loin de se limiter au tourisme, le site présente une diversité de secteurs, dont chacun doit jouer son rôle pour préserver  durablement l’harmonie du lieu.  

Paradis des gourmets avec plus de 20 restaurants cités dans les guides prestigieux, Lavaux est une région privilégiée. Sa beauté est un indiscutable atout touristique, assorti d’enjeux politiques et économiques régionaux. Lavaux, c’est aussi notre terre et une tradition viticole perpétuée depuis près d’un millénaire. Et demain?
Emmanuel Estoppey, site manager de Lavaux, évoque pour nous son activité dédiée au site UNESCO, et les moyens déployés par l’association qui chapeaute le site, pour préserver ce patrimoine vivant. 

Quelles sont les implications – pour la gestion du site – de l’inscription du Lavaux au patrimoine de l’UNESCO?
Les enjeux sont assez similaires d’un site UNESCO à un autre. Nous avons à concilier les parties prenantes (autorités, communes, normes à l’international et liens avec nos pairs à travers le monde). Notre mission étant de protéger le site, nous travaillons avec l’Université de Lausanne sur un système de monitoring basé sur une série d’indicateurs, pour collecter des données et comparer l’évolution des différentes activités du site (tourisme, économie, viticulture, éducation, etc.) et leurs interactions. Nous entamons à présent la définition des éléments de la partie viticole, avec un premier rapport complet en automne 2016.

Avec le recul, que diriez-vous de la stratégie de gestion initiée en 2007?
Le travail se fait graduellement dans une approche à long terme. Les cinq à six premières années ont confronté vision et réalité. La mise en place de la stratégie de gestion nous renvoie à définir les bons outils et moyens pour la réaliser. Nous avons intégré les besoins des différents acteurs de la protection et de l’utilisation du Patrimoine mondial. Si une grande partie se joue au plan institutionnel, nous pensons toutefois aux exploitants locaux, qui vivent et travaillent le Lavaux et font face à des préoccupations économiques et écologiques bien réelles. Il y a aussi les défis touristiques de la Riviera et la problématique d’une urbanisation qui avance. Le plan de gestion est en phase de révision.

 Réchauffement climatique, consommation de vin suisse en baisse, le «label» UNESCO pourrait-il être remis en question?
Nous devons être conscients de la complexité que présente la préservation d’un site vivant. La nature et l’humain s’adaptent aux aléas de leur environnement et les résultats d’exploitation suivent la même courbe. Le réchauffement climatique est clairement avéré: la météo passe d’un extrême à l’autre, avec plus de grêle et d’orages, et avec les canicules. Cela se résume à de moindres récoltes, à des raisins qui pourrissent ou qui n’arrivent pas à grossir en raison des fortes chaleurs. 30-40% de récolte perdue, c’est énorme! A cela s’ajoutent les maladies émergentes comme la flavescence dorée (qui ne touche pas encore le site UNESCO) ou la mouche Suzuki. Le vignoble de Lavaux subit aussi les affres du marché. La culture en terrasses, exploitées à la main, demandent environ 1000-1200 heures/hectares par an, contre 300 pour les cultures mécanisées. Or, une bouteille de Chasselas du Lavaux n’est pas forcément vendue plus cher. Ces coûts de production laissent très peu de marge aux viticulteurs dont les domaines sont complexes et petits (2,5-3 hectares chacun) et les subventions subissent également des coupes. Certains domaines n’ont pas supporté les dernières années et ont dû mettre la clé sous la porte. A cela s’ajoute une évolution des goûts des consommateurs qui testent volontiers les vins d’ailleurs. Notre rôle est de mettre tout en œuvre pour protéger le site dans sa globalité, pour éviter de nous retrouver avec deux à trois gros exploitants sur le Lavaux, car une gestion artificielle n’est pas forcément compatible avec les normes de l’UNESCO.

Sandy Métrailler